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les hommes que pour faire fermenter leurs passions à un dégré plus violent : une foule d’affaires interminables naissoit de leur captivité, & les rendoit nécessairement ennemis de leurs voisins. C’est ainsi que dans les prisons les hommes accablés des mêmes chaînes se communiquent leurs fureurs & leurs vices. En voulant séparer leur intérêt, on l’avoit rendu plus actif, & c’étoit tout le contraire de ce qu’une sage législation sembloit demander. La source de mille désordres provenoit de cette gêne perpétuelle où se trouvoit chaque homme de suivre son talent. De-là naissoient l’oisiveté & la friponnerie. Le misérable étoit dans l’impuissance réelle de sortir d’un état déplorable, parce qu’un bras d’airain lui fermoit tous les passages, & que l’or seul faisoit tomber les barrieres. Le monarque, pour jouir d’un léger tribut, avoit détruit la liberté la plus sacrée, & avoit étouffé tous les ressorts du courage & de l’industrie.

Parmi ce peuple qui étoit éclairé sur les premieres notions du droit des gens, chacun suivoit l’emploi où l’appelloit son goût particulier, gage assuré du succès. Ceux qui ne marquoient aucune disposition pour les beaux arts embrassoient des états plus faciles ; car le médiocre n’étoit point souffert dans tout ce qui avoit rapport au génie ; la gloire de la nation sembloit attachée à ces talens qui distinguent non moins l’homme que les empires.