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posoit que des sujets propres à inspirer des sentimens de grandeur & de vertu. Toutes ces divinités païennes, aussi absurdes que scandaleuses, n’occupoient plus des pinceaux précieux, désormais destinés au soin de transmettre à l’avenir les faits les plus importans : on entendoit par ce mot ceux qui donnoient une plus noble idée de l’homme, comme la clémence, la générosité, le dévouement, le courage, le mépris de la mollesse.

Je vis qu’on avoit traité tous les beaux sujets qui méritoient de passer à la postérité : la grandeur d’ame des souverains étoit surtout immortalisée. J’apperçus Saladin faisant promener un linceul ; Henri IV nourrissant la ville qu’il assiégeoit ; Sulli comptant avec lenteur une somme d’argent que son maître destinoit à ses plaisirs ; Louis XIV au lit de la mort, disant : j’ai trop aimé la guerre ; Trajan déchirant ses vêtemens pour bander les playes d’un infortuné ; Marc-Aurele descendant de cheval dans une expédition pressée pour prendre le placet d’une pauvre femme ; Titus faisant distribuer du pain & des remèdes ; saint Hilaire le bras emporté, & montrant à son fils qui pleuroit Turenne couché sur la poussiere, le généreux Fabre prenant la chaîne des forçats à la place de son pere, &c. On ne trouvoit point ces sujets sombres ou attristans. Il n’étoit plus de vils courtisans qui disoient d’un air moqueur : jusqu’aux peintres se mêlent de prêcher ! On