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QUATRE CENT QUARANTE.

pieds à la tête avec le plus grand étonnement. Ils haussoient les épaules & sourioient, comme nous sourions nous-mêmes lorsque nous rencontrons un masque. En effet mon habillement devoit leur paroître original & grotesque, tant il étoit différent du leur.

Un citoyen (que je reconnus dans la suite pour un savant) s’approcha de moi, & me dit poliment, mais avec une gravité ferme : Bon vieillard, à quoi sert ce déguisement ? Votre projet est-il de nous retracer les ridicules usages d’un siécle bizarre ? Nous n’avons aucune envie de les imiter. Laissez-là ce vain badinage.

Comment ? lui répondis-je, je ne suis point déguisé ; je porte les mêmes habits que je portois hier : ce sont vos colonnes, vos affiches qui mentent. Vous semblez reconnoître un autre souverain que Louis XV. Je ne sais quelle peut être votre idée, mais je la crois dangereuse, je vous en avertis ; on ne joue point de pareilles mascarades ; on n’est point fou de cette force-là : en tout cas vous êtes des imposteurs bien gratuits, car vous ne pouvez pas ignorer que rien ne prévaut contre l’évidence de sa propre existence.

Soit que cet homme se persuadât que j’extravaguois, soit qu’il pensât que le grand âge que je paroissois avoir me faisoit radoter, soit qu’il eût quelqu’autre soupçon, il me demanda en quelle année j’étois né ? En