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jours ; mais chaque matin on avoit soin de lui répéter ce morceau de musique, afin qu’il se contentât du moins sans que l’humanité en souffrît.

L’intendant de ce cabinet me joua un tour ; il fit résonner tout-à-coup son infernal opéra sans m’avoir prévenu. Ciel ! Ciel ! grace ! grace ! m’écriai-je de toutes mes forces & en me bouchant les oreilles : épargnez-moi, épargnez-moi ! Il fit cesser. — Comment, me dit-il, ceci ne vous plait point ? — Il faut être un démon, lui répondis-je, pour se plaire à cet horrible tapage. — C’étoit cependant de votre tems un divertissement fort commun, que les rois & les princes prenoient tout comme celui de la chasse[1], (laquelle, on l’a fort bien dit, étoit la fidèle image de la guerre)[2].

  1. Dans les calamités actuelles qui désolent l’Europe, ce que je trouve de plus avantageux, c’est la dépopulation. Du moins, puisque les hommes doivent être si malheureux, il y aura moins d’infortunés. Si cette réflexion est barbare, que le blâme en retombe sur ses auteurs.
  2. Singuliere & déplorable constitution de notre monde politique ! Huit à dix têtes couronnées tiennent l’espece humaine à la chaîne, se correspondent, se prêtent des secours mutuels, pour la maintenir entre leurs mains royales, pour la serrer à leur gré jusqu’à produire des mouvemens convulsifs. La conspiration n’est point cachée dans l’om-