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Ce peuple, qui avoit toujours un but moral dans les prodiges mêmes d’un art curieux, avoit sû tirer parti de sa profonde invention. Dès qu’un jeune prince parloit des combats ou inclinoit à quelque passion belliqueuse[1], on le conduisoit dans une salle qu’on avoit justement nommée l’enfer : aussi-tôt un machiniste mettoit en jeu les ressorts accoutumés, & l’on produisoit à son oreille toutes les horreurs d’une mêlée, & les cris de la rage, & ceux de la douleur, & les clameurs plaintives des mourans, & les sons de la terreur, & les mugissemens de cet affreux tonnerre, signal de la destruction, voix exécrable de la mort. Si la nature ne se soulevoit pas alors dans son ame, s’il ne jettoit pas un cri d’horreur, si son front demeuroit calme & immobile, on l’enfermoit dans cette salle pour le reste de ses

  1. Puissans potentats, qui vous partagez ce globe, vous avez des canons, des mortiers, des armées nombreuses, qui développent des files éblouissantes de soldats : d’un mot vous les envoyez exterminer un royaume ou conquérir une province. Je ne sais pourquoi au milieu de vos enseignes flottantes, vous me paroissez misérables & petits. Les Romains, dans leurs jeux, faisoient combattre des pigmées, ils sourioient des coups qu’ils se portoient : ils ne soupçonnoient pas qu’ils étoient eux-mêmes devant l’œil du sage ce que ces nains paroissoient à leurs yeux.