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L’AN DEUX MILLE

l’artiste, & je m’apprêtois à en faire la remarque, lorsque ma surprise devint plus grande en jettant la vue sur deux ou trois édits du Souverain attachés aux murailles. J’ai toujours été curieux lecteur des affiches de Paris. Je vis la même date MM. IVC. XL fidélement empreinte sur tous les papiers publics. Eh, quoi ! dis-je en moi-même, je suis donc devenu bien vieux sans m’en appercevoir : quoi, j’ai dormi six cent soixante-douze années[1] !

Tout étoit changé. Tous ces quartiers qui m’étoient si connus, se présentoient à moi sous une forme différente & récemment embellie. Je me perdois dans des grandes & belles rues proprement allignées. J’entrois dans des carrefours spacieux où régnoit un si bon ordre que je n’y appercevois pas le plus léger embarras. Je n’entendois aucun de ces cris confusement bizarres qui déchiroient jadis mon oreille[2]. Je ne rencontrois point de voitures prêtes à m’écraser. Un gouteux auroit pû se promener commodement. La ville avoit un air animé, mais sans trouble & sans confusion.

J’étois si émerveillé que je ne voyois pas les passans s’arrêter, & me considérer des

  1. Cet ouvrage a été commencé en 1768.
  2. Les cris de Paris forment un langage particulier dont il faut avoir la grammaire.