Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils donnoient au vainqueur une médaille d’or au lieu d’un rameau de chêne, & que cette médaille portoit pour devise cette inscription risible : à l’immortalité ? Hélas ! Cette immortalité passoit le lendemain dans le creuset d’un orfêvre, & c’étoit-là l’avantage le plus réel qui restât à l’athlete couronné.

Croiriez-vous que quelquefois ce petit vainqueur perdoit la tête[1], tant son orgueil devenoit fol & ridicule ; & que les juges ne faisoient guère d’autres fonctions que de distribuer ces prix inutiles, dont personne ne se soucioit même d’être informé ?

Leur salle n’étoit ouverte qu’au peuple auteur, & ce peuple n’entroit que par billets. Le matin, l’opéra venoit chanter une messe en musique ; puis un prêtre tremblant débi-

  1. Après les prix de l’université qui font germer un sot orgueil dans des têtes enfantines, je ne connois rien de plus dangereux que les médailles de nos académies littéraires. Le vainqueur se croit réellement un personnage, Le voilà gâté pour le reste de sa vie. Il dédaignera tous ceux qui n’auront pas été couronnés d’un laurier aussi rare, aussi illustre. Voyez dans le Mercure de France du mois de Septembre 1769, page 184, ligne 13, un exemple du plus ridicule égoïsme. Un très-mince auteur rappelle au public qu’étant au collège il faisoit son thême mieux que ses camarades ; il s’en glorifie, & s’imagine tenir le même rang dans la république des lettres… risum teneatis amici.