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aucun livre qui ne l’emportât sur le dernier qui traitoit de la même matière[1].

Mon guide me tira par la manche. — Vous avez un air bien étonné : mais voici de quoi l’être encor plus. Vous avez vû sur votre chemin plusieurs de ces retraites isolées et charmantes qui ont attiré vos regards. Eh bien ! c’est-là que se retire l’homme frappé du pouvoir inconnu qui lui commande d’écrire. Nos académiciens sont des chartreux[2]. C’est dans la solitude que le génie s’étend, se fortifie, s’élance de la voie commune pour s’ouvrir de nouveaux sentiers. Quand l’enthousiasme vient-il à naître ? C’est quand l’auteur descend en lui-même, qu’il creuse son ame, cette mine profonde dont le possesseur ignore quelquefois toute la valeur. La retraite & l’amitié, quels dieux inspirateurs[3] ! Que faut-il de plus à des

  1. Il n’y a plus moyen de se distinguer, dit-on ! Gens avides de fumée, il reste encore le sentier de la vertu ; là vous ne rencontrerez pas beaucoup de concurrens. Mais ce n’est point de cette gloire-là que vous voulez : j’entends, vous voulez faire parler de vous ; je gémis sur vous & sur le genre humain.
  2. Que celui qui veut acquérir la force de l’ame, l’exerce par des fonctions assidues : l’homme le plus oisif est le plus esclave.
  3. L’homme a plus longtems à vivre avec l’esprit qu’avec les sens : donc il sera plus sage de chercher les plaisirs dans l’un, plutôt que dans les autres.