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ter aux trophées sanglans que la servitude & l’erreur avoient consacrés à la tyrannie. Jamais la cause de l’humanité ne fut mieux plaidée ; & quoi qu’ils l’aient perdue par une fatalité inconcevable, ces intrépides avocats n’en sont pas moins demeurés couverts de gloire.

Tous ces traits de lumière échappés à ces ames fortes & courageuses, se sont conservés & transmis d’âge en âge[1]. Tel un germe longtems foulé aux pieds, est tout à coup transporté par un vent favorable ; s’il

    aussi utile à ses desseins, qu’il lui donna des gardes. Ce fut elle qui composa le breuvage qui fit périr Britannicus. Comme l’effet du poison avoit noirci le visage de ce malheureux prince, Néron fit étendre dessus une couche de blanc qui n’offroit aux yeux que la pâleur d’une mort naturelle. Mais comme on le portoit au tombeau, une grosse pluye qui survint lava le fard & mit en évidence ce que l’empereur vouloit déguiser. Je trouve dans ce fait une assez juste allégorie : les rois caressent avec complaisance des monstres fidèles ; soit aveuglement, soit mépris des loix, soit confiance en leur pouvoir, ils croient en imposer à l’œil qui les contemple ; mais bientôt l’histoire est la pluye abondante qui emporte la couche mensongère & rend au crime la couleur qui lui est propre.

  1. Le commun des esprits, & ceux qui n’ont point approfondi jusqu’à un certain point les matières du gouvernement, sont bien éloignés d’appercevoir la liaison des spéculations des sciences avec le bonheur & la richesse de l’État.