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philosophes qu’a produit cette isle guerrière, commerçante & politique. Milton, Shakespear, Pope, Young[1], Richardson jouissoient encore de toute leur renommée. Leur génie créateur, ce génie que rien ne

  1. Mr. le Tourneur a publié une Traduction de ce poëte qui a eu chez nous le succès le plus décidé, le plus grand, le plus soutenu : tout le monde a lû ce livre moral, tout le monde y a admiré ce langage sublime qui élève l’ame, qui la nourrit & qui l’attache ; parce qu’il est fondé sur de grandes vérités, qu’il n’offre que de grands objets, & qu’il tire toute sa dignité de leur réelle grandeur. Pour moi, je n’ai jamais rien lû de si original, de si neuf, même de si intéressant. J’aime ce sentiment profond qui, toujours le même, se nuance & se diversifie à l’infini. C’est un fleuve qui m’entraîne. Je goûte ces images fortes & vives dont la hardiesse répond au sujet qu’il embrasse. On voit ailleurs des preuves plus méthodiques de l’immortalité de l’ame ; mais nulle part le sentiment n’en est frappé comme ici. Le poëte bat le cœur, le soumet, & met hors d’état de raisonner contre. Telle est donc la magie de l’expression & la force de l’éloquence qui laisse l’aiguillon dans l’ame.

    Young a raison, selon moi, contre la note que le censeur a exigée du Traducteur, quand il veut que sans la vue de l’éternité & des récompenses la vertu ne soit qu’un nom, qu’une chimere : aut virtus nomen inane est aut decus & pretium recte petit experiens vir. Ne nous faisons point de fantôme métaphysique. Qu’est-ce qu’un bien dont il ne résulte aucun bien, ni en ce monde ni en l’autre ? Quel bien résulte en ce monde de la vertu pour le juste infortuné ? Demandez-le à Brutus, à Caton, à Socrate mourant : voilà le Stoïcien à la dernière épreu-