Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

volumes de jurisprudence, de cinquante mille dictionnaires, de cent mille poëmes, de seize cent mille voyages & d’un milliard de romans. Nous avons mis le feu à cette masse épouvantable, comme un sacrifice expiatoire offert à la vérité, au bon sens, au vrai goût. Les flammes ont dévoré par torrent les sottises des hommes, tant anciens que modernes. L’embrasement fut long. Quelques auteurs se sont vus brûler tout vivans, mais leurs cris ne nous ont point arrêtés ; cependant nous avons trouvé au milieu des cendres quelques feuilles des œuvres de P***, de De La H***, de l’abbé A***, qui, vu leur extrême froideur, n’avoient jamais pu être consumées.

Ainsi nous avons renouvellé par un zèle éclairé ce qu’avoit exécuté jadis le zèle aveugle des barbares. Cependant comme nous ne sommes ni injustes ni semblables aux Sarrazins qui chauffoient leurs bains avec des chef-d’œuvres, nous avons fait un choix : de bons esprits ont tiré la substance de mille volumes in-folio, qu’ils ont fait passer tout entiers dans un petit in-douze ; à peu près comme ces habiles chymistes, qui expriment la vertu des plantes, la concentrent dans une phiole, & jettent le marc grossier[1].

  1. Tout est révolution sur ce globe : l’esprit des hommes varie à l’infini le caractere national, change les livres & les rend méconnoissables. Est-il un seul