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teurs suivent une marche toute opposée : nous avons immolé tous ces auteurs qui ensevelissoient leurs pensées sous un amas prodigieux de mots ou de passages.

Rien n’égare plus l’entendement que des livres mal faits ; car les premieres notions une fois adoptées sans assez d’attention, les secondes deviennent des conclusions précipitées, & les hommes marchent ainsi de préjugé en préjugé & d’erreur en erreur. Le parti qu’il nous restoit à prendre étoit de réédifier l’édifice des connoissances humaines. Ce projet paroissoit infini : mais nous n’avons fait qu’écarter les inutilités qui nous cachoient le vrai point de vue : comme pour créer le palais du Louvre, il n’a fallu que renverser les masures qui le masquoient de toutes parts ; les sciences dans ce labyrinthe de livres ne faisoient que tourner & circuler, revenant sans cesse au même point sans s’élever, & l’idée exagérée de leurs richesses ne faisoit que déguiser l’indigence réelle.

En effet que contenoit cette multitude de volumes ? Ils étoient pour la plupart des répétitions continuelles de la même chose. La philosophie s’est présentée à nos yeux sous l’image d’une statue toujours célèbre, toujours copiée, mais jamais embellie : elle nous paroît plus parfaite dans l’original, & semble dégénérer dans toutes les copies d’or & d’argent que l’on a faites depuis ; plus belle, sans doute, lorsqu’elle a été taillée en bois