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plus fort des liens, par leur propre intérêt qu’ils ont reconnu après tant de siécles d’erreurs, la raison s’est fait jour dans leur ame ; ils ont ouvert les yeux sur le devoir que leur imposait le salut & la tranquillité des peuples ; ils n’ont mis leur gloire qu’à bien

    sait pas laquelle il doit préférer. Dans cet état pernicieux d’activité & d’ignorance, il a lu Quinte-Curce ; il a vu le caractère d’un roi conquérant exalté avec chaleur, présenté comme un modèle : il l’adopte. Il ne voit plus que la guerre capable d’illustrer. Il arme ; il s’avance. Quelques succès le confirment dans cette passion qui le flatte. Il désole les campagnes, détruit les villes, saccage les provinces & les états, renverse les trônes. Il immortalise à jamais sa folie & sa vanité. Supposons qu’on lui eût appris de bonne heure qu’un roi ne doit chercher que le repos & l’avantage de ses sujets ; que la véritable gloire consiste dans leur amour ; qu’un héroïsme paisible, occupé des loix, des arts, vaut bien un héroïsme belliqueux ; supposons enfin qu’on lui eût donné des idées justes de ce pacte tacite que les peuples ont nécessairement fait avec les rois ; qu’on lui eût montré les conquérans flétris par les larmes de leurs contemporains & par le blâme de la postérité, cet amour inné de la gloire se seroit porté vers des objets utiles ; il eût employé son intelligence & ses lumières à polir ses états, à leur procurer le bonheur ; il n’eût pas ravagé la Pologne, il eût gouverné la Suède. Ainsi une seule idée fausse, reçue dans la tête d’un monarque, l’éloigne de ses véritables intérêts & fait le malheur d’une partie du globe.