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ce théâtre étoit pitoyablement gouverné. Le comédien, à qui l’on donnoit une fortune qu’il ne méritoit guères, osoit avoir de l’orgueil, molestoit l’homme de génie[1] qui se voyoit forcé de lui abandonner son chef-d’œuvre. Ces hommes ne mouroient pas de honte d’avoir refusé & joué à regrets les meilleures piéces de théâtre, tandis que celles qu’ils accueilloient avec transport portoient par ce seul témoignage le signe de leur réprobation & de leur chûte. Bref, ils n’intéressent plus le public aux querelles de leur sale & misérable tripot.

Nous avons quatre salles de spectacles au milieu des quatre principaux quartiers de la ville. C’est le gouvernement qui les entretient ; car on en a fait une école publique de morale & de goût. On a compris toute l’influence que l’ascendant du génie peut avoir

  1. En France le gouvernement est monarchique, & le théâtre républicain. Ce n’est point là le moyen que l’art dramatique se perfectionne de sitôt ; j’ose même dire que toute pièce excellente pour le peuple sera proscrite par le gouvernement. Messieurs les auteurs, faites des tragédies sur des sujets antiques : on vous demande des romans, & non des peintures capables de toucher & d’instruire la nation ; bercez-nous d’anciens contes de peau d’âne ; & ne peignez point les événemens & surtout les hommes présens.