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trêmement profonde : c’étoit celle des étrangers. Une seule table déja servie en plusieurs endroits en occupoit toute la longueur. On honora mon grand âge d’un fauteuil : on nous servit un potage succulent, des légumes, un peu de gibier & des fruits, le tout simplement accommodé[1].

Voilà qui est admirable, m’écriai-je : oh que c’est faire un bel emploi de ses richesses que de nourrir ceux qui ont faim. Je trouve cette façon de penser bien plus noble & bien plus digne de leur rang… Tout se passa avec beaucoup d’ordre ; une conversation décente & animée prêtoit de nouveaux agrémens à cette table publique. Le prince parut, donnant ses ordres de côté & d’autre d’une manière noble & affable. Il vint à moi en souriant ; il me demanda des nouvelles de mon siécle ; il exigea que je fusse sincère. Ah ! lui dis-je, vos premiers ancêtres n’étoient pas si généreux que vous ! ils passoient leurs jours à la chasse[2] & à

  1. J’ai vu un roi entrant chez un prince traverser une grande cour toute remplie de malheureux, qui crioient d’une voix languissante : donnez-nous du pain ! & après avoir traversé cette cour sans leur répondre, le roi & le prince se sont assis à la table d’un festin qui coûtoit près d’un million.
  2. La chasse doit être regardée comme un divertissement ignoble & bas. On ne doit tuer les animaux