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tout le flambeau de la raison, & qui guérissent les esprits indociles ou mutinés, en employant tour-à-tour l’éloquence du cœur, la douceur & l’adresse.

Ces tables sont instituées pour les vieillards, les convalescens, les femmes enceintes, les orphelins, les étrangers. On s’y assied sans honte & sans scrupule. Ils y trouvent une nourriture saine, légère, abondante. Ce prince qui respecte l’humanité, n’étale point un luxe aussi révoltant que fastueux ; il ne fait point travailler trois cents hommes pour donner à dîner à douze personnes ; il ne fait point de sa table une décoration d’opéra ; il ne se fait pas gloire de ce qui est une véritable honte, d’une profusion outrée, insensée[1] : quand il dîne, il songe qu’il n’a qu’un estomac, & que ce seroit en faire un dieu que de lui présenter, comme aux idôles de l’antiquité, cent sortes de mets dont il ne sauroit goûter.

Tout en conversant nous traversâmes deux cours, & nous entrâmes dans une salle ex-

  1. En voyant l’estampe de Gargantua, dont la bouche, large comme celle d’un four, engloutit en un seul repas douze cent livres de pain, vingt bœufs, cent moutons, six cent poulets, quinze cent lièvres, deux mille cailles, douze muids de vin, six mille pêches, &c, &c, &c. quel homme ne dit pas : cette grande bouche est celle d’un roi.