Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plaintive humanité jettant un cri de douleur vit trop tard que les tortures des bourreaux n’inspirerent jamais la vertu[1].

  1. Si l’on vient à examiner la validité du droit que les sociétés humaines se sont attribué de punir de mort, on demeure effrayé du point imperceptible qui sépare l’équité de l’injustice. Alors on a beau accumuler les raisonnemens, toutes les lumiéres ne servent qu’à nous égarer. Il faut revenir à la seule loi naturelle, qui respecte bien plus que nos institutions la vie les uns des autres ; elle nous apprend que la loi du talion est la plus conforme de toutes à la droite raison. Parmi ces gouvernernens naissans qui ont encore l’empreinte de la nature, il n’y a presque pas de crime qui soit puni de mort. Dans le cas du meurtre, ce n’est plus douteux, car la nature crie de s’armer contre les meurtriers ; mais dans le cas de vol, la barbarie qui condamne au trépas se fait pleinement sentir : c’est une punition immense pour une bagatelle, & la voix d’un million d’hommes, adorateurs de l’or, ne peut rendre valable ce qui est essentiellement nul. On dira que le voleur aura fait un contrat avec moi, de consentir à être puni de mort s’il me vole mon bien ; mais aucun n’a droit de faire ce marché, parce qu’il est injuste, barbare & insensé : injuste, en ce que sa vie ne lui appartient pas ; barbare, en ce qu’aucune proportion n’est gardée ; insensé, en ce qu’il est incomparablement plus utile que deux hommes vivent, qu’il ne l’est qu’un autre jouisse de quelque commodité excessive ou superflue.

    Cette note est tirée d’un bon roman intitulé : Ministre de Wakefield.