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suivre la mémoire d’un homme jusque dans le tombeau, & de faire rejaillir sur toute une famille innocente le crime d’un seul[1] ; il ne se plaisoit pas à déshonorer gratuitement des citoyens utiles, à faire des malheureux pour le plaisir barbare de les humilier. On porta son corps pour être brûlé avec les corps de ses compatriotes, qui la veille avoient payé l’inévitable tribut qu’exige la nature. Ses parens n’avoient d’autre douleur à combattre que celle que leur inspiroit la perte d’un ami ; & le soir même une place de confiance étant venue à vaquer, le Roi conféra cette place honorable au frère du criminel. Chacun applaudit à ce choix, que dictoit à la fois l’équité & la bienfaisance.

Tout attendri, tout pénétré, je disois à mon voisin : ô ! que l’humanité est respectée parmi vous ! La mort d’un citoyen est un deuil universel pour la patrie ! — C’est que nos loix, me répondit-il, sont sages & humaines : elles penchent vers la réformation plutôt que vers le châtiment ; & le moyen d’épouvanter le crime n’est point de rendre la punition commune, mais formidable. Nous avons soin de prévenir les crimes : nous avons des lieux destinés à la solitude, où les cou-

  1. Vil & méprisable préjugé, qui confond toutes les notions de justice, contraire à la raison, & fait pour un peuple méchant ou imbécille.