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absence de talent poétique. Sur leurs crânes vides croissaient de véritables forêts vierges, inexplorées du peigne ; dans leurs vastes poches jaunissaient des manuscrits mort-nés. Ces jolis messieurs étaient persuadés qu’une chemise crasseuse et un gilet rcuge à boutons de métal remplaçaient avantageusement le génie. Mais laissons-les : il n’est resté d’eux qu’un mauvais souvenir.

J’entends déjà les gens de bon sens et de bonne foi s’écrier : « Ah oui I la théorie parnassienne ? La poésie sans passion et sans pensée ? Le mépris des sentiments humains ? Le culte des vers bien faits qui ne veulent rien dire ? » Non.

Nul plus que nous, sachez-le, n’admire ces purs et mélancoliques poèmes semblables à de beaux lis au fond desquels tremble une goutte de rosée qui est une larme humaine ; dans cette goutte, un poète fait tenir tout un océan de douleurs, et c’est son triomphe d’éveiller dans l’âme de ceux qui le lisent une émotion fraternelle, mais pudique, voilée, mystérieuse, et s’exhalant simplement dans un soupir. La passion ! elle est une source éternelle de poésie. La pensée ! elle a ridé le front de tous les artistes dignes de ce nom. Lequel de nous a dit que l’art poétique pouvait se passer de ses éléments principaux de force et de grandeur, et dans quel monde inconnu trouver un poète qui ne soit pas pétri d’humanité ? Mais encore une fois s’il est nécessaire d’être homme et mieux homme qu’un autre pour être un créateur, cela ne suffit pas. L’art existe-t-il, oui ou non ? S’il ne faut qu'avoir beaucoup de chagrin pour mériter le nom sacré