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lui qui avait écrit ces strophes, il n’était pas inquiet de l’avenir, sachant qu’il avait frappé une médaille sur laquelle ne prévaudraient ni le temps ni la rouille.

Pendant que Théophile Gautier se reposait, Alfred de Vigny s’isolait. Avec un demi-sourire où le respect mitigeait l’ironie, ceux qui l’approchaient disaient de lui qu’il s’était retiré dans sa tour d’ivoire. Ce sévère et délicat esprit avait toujours eu peu de goût pour les rumeurs de la foule ; il s’était fait une sorte de gloire à l’écart.

Deux autres soldats de la guerre romantique, morts aujourd’hui, s’étaient, eux aussi, éloignés des batailles. Ils n’étaient pas très vieux, bien qu’ils eussent vu tant de choses, mais on imagine partout des vieillards lorsqu’on a dix-sept ans. C’étaient deux frères, Antoni et Émile Deschamps. Antoni avait écrit, outre quelques morceaux poétiques d’un sentiment très pur, une traduction en vers de Dante Alighieri. Il avait eu tort : le vers français ne traduit pas. Esprit désabusé des espérances, peu satisfait peut-être d’une renommée sans éclat, il s’éteignait, attristé, sans amertume d’ailleurs. L’autre