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Elle est là, se croyant toute seule… Elle a pris
Dans le frisson neigeux de la poudre de riz
Une houppe de cygne ; et, dormeuse encor lasse,
Sur la pointe des pieds se hausse vers la glace
Par un effort qui la cambre légèrement.
Pose coquette : ainsi le divin gonflement
Du souffle accuse mieux la naissante poitrine ;
En même temps que bat l’aile de la narine,
Et que les cils pressés palpitent sur les yeux.
Attentive, elle tend sa peau d’un grain soyeux
Qu’effleure le duvet doux comme une caresse ;
Et se dépite à voir que toujours transparaisse
Le sang jeune, par qui son teint reste vermeil
De la carnation récente du sommeil.
Car elle a beau poudrer sa joue ardente et fraîche,
Où, dans la rose, pointe une rougeur de pêche,
Toujours ce vilain rose et ce rouge insolent
Triomphent…

Triomphent… Ô morale, aïeule au chef branlant I
Ô duègne, qu’en secret la mode farde et grime,
Ne t’indigne pas trop (bien que ce soit un crime
D’opprimer sous l’hiver le printemps rose et nu,
Ne t’indigne pas trop de ce crime ingénu.
Si naïve, l’erreur peut être pardonnée.
Songe qu’Avril aussi, jeunesse de l’année,
Parfois s’éveille avec un caprice pareil,
Et fait, à la surprise extrême du soleil,
Sur les rouges bourgeons, drus et pressés de vivre,
Scintiller la blancheur délicate du givre.