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Je suis de ceux qui ne croient pas à la vérité absolue dans l’art ; et je t’affirme que tu n’existes pas.

Quoi ! tu te figures que tu es de chair, de sang et d’os ? Parce que tu chantes l’opérette, et que tu fais le trottoir, parce que tu mets un maillot tous les soirs, et que tu ôtes ta chemise trois ou quatre fois par jour, parce que tu es bête, parce que tu n’as ni pudeur ni amour, ni cœur, ni sens, parce que tu dis : « … » au lieu de jurer par Notre-Dame-del-Pilar, parce que tu oses montrer l’urne intime où s’ouvre un œil attentif — l’œil du naturalisme ! — tu t’imagines que tu es réelle ? « Je suis immonde, donc je suis. » Tu te trompes, Nana. Pour être vraie, il ne suffit pas d’être malpropre. La belle créature nue qui sort d’un puits où se reflètent les étoiles n’est pas la Vérité, sans doute ; mais elle ne l’est pas davantage quand elle sort d’un égout.

Et tu ne pouvais pas être vraie. Le vrai absolu, je te le répète, n’existe pas dans l’œuvre humain. L’art, c’est l’éternel mensonge. Il embellit ou enlaidit, il élève ou abaisse ; il n’exprime jamais, tels qu’ils sont, les êtres ou les choses. Il est une ressemblance, adorable ou