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Je le dis avec la conviction de voir mon opinion partagée par tous ceux qui connaissent pleinement l’œuvre de Villiers de l’Isle-Adam et qui savent percer le mystère de son éloquence étrange, l’auteur du Nouveau Monde et des Contes cruels est peut-être le seul des hommes de notre génération qui ait eu en lui l’étincelle du génie. De là la hauteur de ses conceptions, la magnificence de ses rêveries, et aussi l’inachevé de son œuvre. Il est à la fois trop grand et pas assez.

Malheur aux demi-dieux ! Ils sont trop loin de nous pour que nous les aimions comme des frères, trop près pour que nous les adorions comme des maîtres. Il y a en eux trop ou trop peu de divinité. Si on veut leur sourire, ils vous épouvantent par ce qu’ils ont dans les yeux de ciel et de tonnerre ; si on veut leur rendre un culte, ils en apparaissent indignes par leur humanité visible. Orphée a été déchiré par les Ménades ; que pouvaient-elles faire de cet être incomplet qui inspirait assez de respect pour qu’on n’osât pas le mêler aux fêtes de l’ivresse, pas assez pour qu’on les interrompît à sa vue ? Hercule a dû allumer lui-même son bûcher pour détruire ce qu’il y avait en lui de terrestre et mourir pour se compléter.