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Chapitre I.
PHONÉTIQUE.

I. ACCENTUATION.

5. — À l’accent est dû un changement essentiel d’aspect des mots indo-européens sur le sol arménien ; c’est donc par l’étude de l’accent qu’on commencera la phonétique comparée de l’arménien.

Un accent rythmique s’est fixé en arménien à une date notablement antérieure à l’époque historique, sur l’avant-dernière syllabe du mot indo-européen. Soit, par exemple, un mot *ebheret « il a porté », répondant à skr. ábharat, gr. ἔφερε ; il a présenté en arménien à une certaine date un accent sur l’avant-dernière syllabe, ainsi *ebhéret. Cet accent a eu deux effets principaux :

1o L’élément vocalique de la dernière syllabe s’est amuï dans tous les cas et par suite, là même où il reste de la dernière syllabe un élément consonantique ou sonantique, un mot polysyllabique indo-européen est en principe réduit d’une syllabe en arménien ; à skr. páñca, gr. πέντε « cinq » l’arménien répond par hing հինգ (à l’intérieur du mot l’e final est conservé dans hnge-tasan հնգետասան « quinze ») ; à skr. ábharat, gr. ἔφερε « il a porté » par eber եբեր) à skr. ádhāt « il a posé » (c’est-à-dire i.-e. *edhēt) par ed եդ aux nomin. sing. skr. svápnaḥ, lat. somnus « sommeil », accus. sing. skr. svápnam, lat. somnum, locat. sing. skr. svápne, par k‘un քուն et à l’ancien accusatif pluriel *swópnons par k‘uns քունս ; à gr. πατήρ, lat. pater, v. irl. athir, got. fadar « père » par hayr հայր ; à gr. πόδα « pied » (c’est-à-dire *podn̥) par otn ոտն l’arménien peut être considéré comme ayant perdu ici une voyelle de même que dans les cas précédents, car le traitement normal de i.-e. en arménien est an ան, etc. (cf. § 26). — Si dans l’accusatif eris երիս « trois » un i de syllabe finale est maintenu, c’est qu’il s’agit d’un ancien mono-syllabe *trins (cf. got. brins) et que l’e initial résulte d’une prothèse arménienne.