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Essais de sociologie

publique et celui des tendances de l’une et de l’autre. Les législateurs, les hommes de loi, les opinions publiques souveraines sont ainsi impartialement renseignés sur eux-mêmes. Les Instituts de recherches économiques sont aussi nombreux là-bas. (Ils commencent à prospérer en Allemagne.) Dans un État, la Caroline du Nord, le Département de science sociale de l’université est chargé des enquêtes législatives préalables à la préparation des lois. Ce mouvement n’est qu’à son début.

En tout état de cause, le sociologue est qualifié professionnellement aussi bien et mieux que les bureaucrates, pour observer même les phénomènes que ceux-ci administrent : car les fonctionnaires n’ont pas naturellement l’impartialité nécessaire et la vue claire des choses ; ils représentent surtout la tradition quand ce ne sont pas leurs intérêts à eux ou ceux d’une classe qu’ils servent.


Hors de cela que pouvons-nous faire encore ? Bien peu. Mais ce serait déjà bien. Quelques-uns d’entre nous pourraient étudier, pratiquement et théoriquement à la fois, les idées nouvelles et anciennes, les usages traditionnels et les nouveautés révolutionnaires des sociétés qui, en ces moments troublés, cherchent à enfanter leur propre avenir. Si quelques jeunes gens, épris de grandes entreprises, savaient faire cela, les données politiques de notre temps et de chaque société, faits et idéaux, pourraient être étudiés à part et sans préjugés. Les choses présentes pourraient alors faire l’objet d’une sorte de comptabilité intellectuelle, de constante « appréciation » comme disait Comte. Le premier temps d’une politique positive c’est : de savoir et dire aux sociétés en général et à chacune en particulier, ce qu’elles font, où elles vont. Et le second temps de la morale et de la politique proprement dites consiste à leur dire franchement si elles font bien, pratiquement et idéalement, de continuer à aller dans telle ou telle direction. Le jour où, à côté des sociologues, quelques théoriciens de la politique ou quelques sociologues eux-mêmes, épris du futur, arriveront à cette fermeté dans le diagnostic et à une certaine sûreté dans la thérapeutique, dans la propédeutique, dans la pédagogie surtout, ce jour-là la cause de la sociologie sera gagnée. L’utilité de la sociologie s’imposera ; elle imprimera une formation expérimentale à l’esprit moral et à l’éducation politique ; elle sera justifiée en fait, comme elle l’est en raison.