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La sociologie : objet et méthode
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du même ordre que les faits expliqués. On en est quitte pour modifier les théories à mesure que de nouveaux faits arrivent à être connus ou à mesure que la science, tous les jours plus exacte, découvre de nouveaux aspects dans les faits connus. Hors de ces approximations de plus en plus serrées des phénomènes, il n’y a de place que pour des discussions dialectiques, ou des encyclopédies érudites, les unes et les autres sans véritable utilité, puisqu’elles ne proposent aucune explication. Et d’ailleurs, si le travail d’induction a été fait avec méthode, il n’est pas possible que les résultats auxquels le sociologue arrive soient dénués de toute réalité. Les hypothèses expriment des faits, et par conséquent elles ont toujours au moins une parcelle de vérité : la science peut les compléter, les rectifier, les transformer, mais elle ne manque jamais de les utiliser.


III. DIVISIONS DE LA SOCIOLOGIE

La sociologie prétend être une science et se rattacher à la tradition scientifique établie. Mais elle n’en est pas moins libre vis-à-vis des classifications existantes. Elle peut répartir le travail autrement qu’il ne l’a été jusqu’ici.

En premier lieu, la sociologie considère comme siens un certain nombre de problèmes qui, jusqu’ici, ressortissaient à des sciences qui ne sont pas des « sciences sociales ». Elle décompose ces sciences, leur abandonne ce qui est leur objet propre et retient pour elle tous les faits d’ordre exclusivement social. C’est ainsi que la géographie traitait jusqu’ici des questions de frontières, de voies de communication, de densité sociale, etc. Or ce ne sont pas là des questions de géographie, mais des questions de sociologie, puisqu’il ne s’agit pas de phénomènes cosmiques, mais de phénomènes qui tiennent à la nature des sociétés. De même, la sociologie s’approprie les résultats déjà acquis par l’anthropologie criminelle touchant un certain nombre de phénomènes qui sont, non pas des phénomènes somatiques, mais des faits sociaux.

En second lieu, parmi les sciences auxquelles on donne ordinairement le nom de « sciences sociales », il y en a qui ne sont pas à proprement parler des sciences. Elles n’ont qu’une unité factice, et la sociologie doit les dissocier. Telles sont la statistique