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se sent associé des corbeaux, c’est que chaque individu s’est constitué son totem propre à l’image du totem du clan.

On voit maintenant ce que nous entendons par le mot de représentations collectives et en quel sens nous pouvons dire que les phénomènes sociaux peuvent être des phénomènes de conscience, sans être pour autant des phénomènes de la conscience individuelle. On a vu aussi quels genres de relations existent entre les phénomènes sociaux. — Nous sommes maintenant en mesure de préciser davantage la formule que nous avons donnée plus haut de l’explication sociologique, quand nous avons dit qu’elle allait d’un phénomène social à un autre phénomène social. On a pu entrevoir, d’après ce qui précède, qu’il existe deux grands ordres de phénomènes sociaux : les faits de structure sociale, c’est-à-dire les formes du groupe, la manière dont les éléments y sont disposés ; et les représentations collectives dans lesquelles sont données les institutions. Cela posé, on peut dire que toute explication sociologique entre dans un des trois cadres suivants : 1. ou bien elle rattache une représentation collective à une représentation collective, par exemple la composition pénale à la vengeance privée ; 2. ou bien elle rattache une représentation collective à un fait de structure sociale comme à sa cause ; ainsi l’on voit dans la formation de villes la cause de la formation d’un droit urbain, origine d’une bonne partie de notre système de la propriété ; 3. ou bien elle rattache des faits de structure sociale à des représentations collectives qui les ont déterminés : ainsi certaines notions mythiques ont dominé les mouvements migratoires des Hébreux, des Arabes de l’islam ; la fascination qu’exercent les grandes villes est une cause de l’émigration des campagnards. — Il peut sembler, il est vrai, que de telles explications tournent dans un cercle, puisque les formes du groupe y sont présentées, tantôt comme des effets et tantôt comme des causes des représentations collectives. Mais ce cercle, qui est réel, n’implique aucune pétition de principes : il est celui des choses elles-mêmes. Rien n’est vain comme de se demander si ce sont les idées qui ont suscité les sociétés ou si ce sont les sociétés qui, une fois formées, ont donné naissance aux idées collectives. Ce sont des phénomènes inséparables, entre lesquels il n’y a pas lieu d’établir une primauté, ni logique, ni chronologique.

L’explication sociologique ainsi entendue ne mérite donc à