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Essais de sociologie

Définissant chaque civilisation par un trait dominant, on en étudie presque exclusivement l’extension géographique et, occasionnellement, la chronologie. On parle de Bogenkultur, de Zweiklassenkultur, de freivaterrechtliche Kultur, de culture de l’arc, de culture à deux classes (sociétés divisées en deux moitiés matrimoniales), de civilisations à descendance masculine sans exogamie. Et on finit par des absurdités, même verbales, comme celles de la « hache totémique ». Ce qui n’empêche pas que sur nombre de points de détail, ces auteurs ont trouvé des filiations vraisemblables, intéressantes, et dignes d’entrer dans l’histoire. Mais ce qui est bon pour étudier ces répartitions d’objets devient aisément inexact lorsqu’il s’agit de définir des civilisations et des contacts entre civilisations. La méthode cartographique est excellente lorsqu’il s’agit de décrire l’histoire de chaque instrument, de chaque type d’instrument, d’art, etc. Il s’agit d’ailleurs, lorsqu’on est sur un bon terrain, avant tout, d’objets palpables ; ce qu’on veut, c’est classer en séries ces objets dans des musées. Dans ces limites, ce procédé a notre entière approbation. Nous aurions bien à dire sur le mât de cocagne. Notre regretté Robert Hertz avait préparé un joli travail sur le cerf-volant en pays polynésien. Mais tout autre chose est de tracer le voyage d’un art ou d’une institution et de définir une culture. Deux dangers se produisent immédiatement :

D’abord le choix du caractère dominant. Les sciences biologiques souffrent assez de cette notion de caractère principal, à notre avis tout à fait arbitraire. Les sciences sociologiques en souffrent encore davantage. Les critères employés sont même souvent inexistants. Par exemple, l’idée qui donne son nom à la Zweiklassenkultur correspond à une grave erreur. Que certaines sociétés australiennes et mélanésiennes ne soient divisées qu’en « deux classes » exogames (Graebner et Schmidt), en deux « moitiés » (terminologie de Rivers), c’est un fait controuvé. D’abord, à propos de ces moitiés : à la démarcation que l’on établit entre elles et les clans, nous opposons une dénégation énergique ; ces moitiés sont d’anciens clans primaires à notre avis. Ensuite, dans toutes les sociétés australiennes et mélanésiennes, considérées comme représentatives de cette civilisation, on a trouvé autre chose que ces moitiés : on a constaté aussi des clans à l’intérieur d’elles, ce qui est normal dans ce que nous appelons, nous, des phratries. C’est donc par une erreur et une pétition