Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.
232
Essais de sociologie

idées simplistes qui représentent l’évolution humaine comme si elle avait été unique. Sous ce rapport comme ces « comparants », mais surtout avec les historiens et les géographes, les sociologues rattachent les phénomènes de civilisation non point à une hypothétique évolution générale de l’humanité, mais à l’enchaînement chronologique et géographique des sociétés. Jamais ni Durkheim, ni nous, n’avons séparé l’évolution humaine de celle des groupes plus ou moins vastes qui la composent. Voici longtemps que Durkheim expliquait la famille conjugale moderne par le mélange des droits domestiques germanique et romain. En somme, il appliquait dès lors ce qu’on appelle maintenant la théorie des « substrats ». Et voici plus de dix ans que M. Meillet a pris parti pour une méthode généalogico-historique en linguistique, sans croire, pour cela, être infidèle à la sociologie, dont il est l’un des maîtres.

D’ailleurs toutes ces oppositions d’écoles sont jeux futiles de l’esprit ou concurrence de chaires, de philosophies et de théologies. Les vraiment grands ethnologues ont été aussi éclectiques dans le choix des problèmes que dans celui des méthodes qui doivent varier par problèmes. E.-B. Tylor, dont on a l’habitude de faire une cible, a publié — et encore plus enseigné — de délicieuses histoires d’emprunts. Les meilleures collections de répartitions d’objets sont incontestablement celles du Musée Pitt Rivers, qu’il a fondé à Oxford et que M. Balfour administre.

Au fond, la masse des savants véritables reste fidèle aux trois principes, aux trois rubriques du vieux maître, Adolf Bastian :

1. l’Elementargedanke, l’« idée élémentaire », originale et originelle, création autonome et caractéristique d’un esprit collectif, le « trait de culture » comme disent assez mal les « anthropologues sociaux » américains ;

2. la Geographische Provinz, le « secteur géographique », quelquefois assez mal limité, quelquefois très évidemment marqué par la communauté des faits de civilisation, par les langues apparentées et assez souvent par les races uniques : le nombre de ces « provinces géographiques » n’étant pas excessivement nombreux et les découvertes modernes en restreignant encore le nombre ;

3. la Wanderung, la migration, le voyage et les vicissitudes de la civilisation et, avec elle, comme dans le cas d’une évolution