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régime matrimonial satisfait mieux qu’un autre les instincts humains ou concilie mieux qu’un autre la liberté et la dignité des deux époux, il resterait à chercher pourquoi ce régime apparaît dans telles sociétés plutôt que dans telles autres, à tel moment et non à tel autre du développement d’une société. En troisième lieu, les propriétés essentielles de la nature humaine sont les mêmes partout, à des nuances et à des degrés près. Comment pourraient-elles rendre compte des formes si variées qu’a prises successivement chaque institution. L’amour paternel et maternel, les sentiments d’affection filiale sont sensiblement identiques chez les primitifs et chez les civilisés ; quel écart cependant il y a entre l’organisation primitive de la famille et son état actuel, et, entre ces extrêmes, que de changements se sont produits ! Enfin les tendances indéterminées de l’homme ne sauraient rendre compte des formes si précises et si complexes sous lesquelles se présentent toujours les réalités historiques. L’égoïsme qui peut pousser l’homme à s’approprier les choses utiles n’est pas la source de ces règles si compliquées qui, à chaque époque de l’histoire, constituent le droit de propriété, règles relatives au fonds et à la jouissance, aux meubles et aux immeubles, aux servitudes, etc. Et pourtant le droit de propriété in abstracto n’existe pas. Ce qui existe, c’est le droit de propriété tel qu’il est ou était organisé, dans la France contemporaine ou dans la Rome antique, avec la multitude des principes qui le déterminent. La sociologie ainsi entendue ne peut donc atteindre de cette manière que les linéaments tout à fait généraux, presque insaisissables à force d’indétermination des institutions. Si l’on adopte de tels principes, on doit confesser que la plus grande partie de la réalité sociale (tout le détail des institutions) demeure inexpliquée et inexplicable. Seuls les phénomènes que détermine la nature humaine en général, toujours identique dans son fonds, seraient naturels et intelligibles ; tous les traits particuliers qui donnent aux institutions, suivant les temps et les lieux, leurs caractères propres, tout ce qui distingue les individualités sociales, est considéré comme artificiel et accidentel ; on y voit, soit les résultats d’inventions fortuites, soit les produits de l’activité individuelle des législateurs, des hommes puissants dirigeant volontairement les sociétés vers des fins entrevues par eux. Et l’on est ainsi conduit à mettre hors de la science, comme inintelligibles, toutes les institutions très déterminées, c’est-à-