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De quelques formes primitives de classification
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sommet des premières classifications philosophiques. Déjà il est certain que la philosophie chinoise, quand elle est proprement taoïste, repose essentiellement sur le système de classification que nous avons décrit. En Grèce, sans vouloir rien affirmer relativement à l’origine historique des doctrines, on ne peut s’empêcher de remarquer que les deux principes de l’ionisme héraclitéen, la guerre et la paix, ceux d’Empédocle, l’amour et la haine, se partagent les choses, comme font le yin et le yang dans la classification chinoise. Les rapports établis par les pythagoriciens entre les nombres, les éléments, les sexes, et un certain nombre d’autres choses ne sont pas sans rappeler les correspondances d’origine magico-religieuse dont nous avons eu l’occasion de parler. D’ailleurs, même au temps de Platon, le monde était encore conçu comme un vaste système de sympathies classées et hiérarchisées[1].


V

Les classifications primitives ne constituent donc pas des singularités exceptionnelles, sans analogie avec celles qui sont en usage chez les peuples les plus cultivés ; elles semblent, au contraire, se rattacher sans solution de continuité aux premières classifications scientifiques. C’est qu’en effet, si profondément qu’elles diffèrent de ces dernières sous certains rapports, elles ne laissent pas cependant d’en avoir tous les caractères essentiels. Tout d’abord, elles sont, tout comme les classifications des savants, des systèmes de notions hiérarchisées. Les choses n’y sont pas simplement disposées sous la forme de groupes isolés les uns des autres, mais ces groupes soutiennent les uns avec les autres des rapports définis et leur ensemble forme un seul et même tout. De plus, ces systèmes, tout comme ceux de la science, ont un but tout spéculatif. Ils ont pour objet, non de faciliter l’action, mais de faire comprendre, de rendre intelligibles les relations

  1. La philosophie hindoue abonde en classifications correspondantes des choses, des éléments, des sens, des hypostases. On trouvera énumérées et commentées les principales dans Deussen, Allgemeine Geschichte der Philosophie, I, 2, p. 85, 89, 95, etc. Une bonne partie des Upanishads consiste en spéculations sur les généalogies et les correspondances.