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Essais de sociologie

Cette classification des espaces, des temps, des choses, des espèces animales domine toute la vie chinoise. Elle est le principe même de la fameuse doctrine du fung-shui, et, par là, elle détermine l’orientation des édifices, la fondation des villes et des maisons, l’établissement des tombes et des cimetières ; si l’on fait ici tels travaux, et là tels autres, si l’on entreprend certaines affaires à telle ou telle époque, c’est pour des raisons fondées sur cette systématique traditionnelle. Et ces raisons ne sont pas seulement empruntées à la géomancie ; elles sont aussi dérivées des considérations relatives aux heures, aux jours, aux mois, aux années : telle direction, qui est favorable à un moment donné, devient défavorable à un autre. Les forces sont concourantes ou discordantes suivant les temps. Ainsi, non seulement dans le temps, comme dans l’espace, tout est hétérogène, mais les parties hétérogènes dont sont faits ces deux milieux se correspondent, s’opposent et se disposent dans un système un. Et tous ces éléments, en nombre infini, se combinent pour déterminer le genre, l’espèce des choses naturelles, le sens des forces en mouvement, les actes qui doivent être accomplis, donnant ainsi l’impression d’une philosophie à la fois subtile et naïve, rudimentaire et raffinée. C’est que nous sommes en présence d’un cas, particulièrement typique, où la pensée collective a travaillé, d’une façon réfléchie et savante, sur des thèmes évidemment primitifs.

En effet, si nous n’avons pas le moyen de rattacher par un lien historique le système chinois aux types de classification que nous avons étudiés précédemment, il n’est pas possible de ne pas remarquer qu’il repose sur les mêmes principes que ces derniers. La classification des choses sous huit chefs, les huit pouvoirs, donne une véritable division du monde en huit familles, comparable, sauf que la notion du clan en est absente, aux classifications australiennes. D’autre part, comme chez les Zuñis, nous avons trouvé à la base du système une division tout à fait analogue de l’espace en régions fondamentales. À ces régions se trouvent également rapportés les éléments, les vents et les saisons. Comme chez les Zuñis encore, chaque région a sa cou-

    couple de la division décimale des temps correspondant à un élément. Il serait fort possible aussi que la division dénaire fût partie d’une orientation en cinq régions, la division duodénaire de l’orientation en quatre points cardinaux.