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Si, en effet, les phénomènes sociaux sont les manifestations de la vie des groupes en tant que groupes, ils sont beaucoup trop complexes pour que des considérations relatives à la nature humaine en général puissent en rendre compte. Prenons de nouveau pour exemple les institutions du mariage et de la famille. Les rapports sexuels sont soumis à des règles très compliquées : l’organisation familiale, très stable dans une même société, varie beaucoup d’une société à une autre ; en outre, elle est liée étroitement à l’organisation politique, à l’organisation économique qui, elles aussi, présentent des différences caractéristiques dans les diverses sociétés. Si ce sont là les phénomènes sociaux qu’il s’agit d’expliquer, des problèmes précis se posent : comment se sont formés les différents systèmes matrimoniaux et domestiques ? peut-on les rattacher les uns aux autres, distinguer des formes postérieures et des formes antérieures, les premières apparaissant comme le produit de la transformation des secondes ? Si cela est possible, comment s’expliquer ces transformations, quelles en sont les conditions ? Comment les formations de l’organisation familiale affectent-elles les organisations politiques et économiques ? D’autre part, tel régime domestique une fois constitué, comment fonctionne-t-il ? À ces questions, les sociologues qui demandent à la seule psychologie individuelle le principe de leurs explications, ne peuvent pas fournir de réponses. Ils ne peuvent, en effet, rendre compte de ces institutions si multiples, si variées, qu’en les rattachant à quelques éléments très généraux de la constitution organico-psychique de l’individu : instinct sexuel, tendance à la possession exclusive et jalouse d’une seule femelle, amour maternel et paternel, horreur du commerce sexuel entre consanguins, etc. Mais de pareilles explications sont d’abord suspectes au point de vue purement philosophique : elles consistent tout simplement à attribuer à l’homme les sentiments que manifeste sa conduite, alors que ce sont précisément ces sentiments qu’il s’agirait d’expliquer ; ce qui revient, en somme à expliquer le phénomène par les vertus occultes des substances, la flamme par le phlogistique et la chute des corps par leur gravité. En outre, elles ne déterminent entre les phénomènes aucun rapport précis de coexistence ou de succession, mais les isolent arbitrairement et les présentent en dehors du temps et de l’espace, détachés de tout milieu défini. Quand bien même on considérerait comme une explication de la monogamie l’affirmation que ce