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De quelques formes primitives de classification
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le ciel, principe pur de la lumière, du mâle, etc., est placé au Sud[1]. Il « signifie » l’immobilité et la force, la tête, la sphère céleste, un père, un prince, la rondeur, le jade, le métal, la glace, le rouge, un bon cheval, un vieux cheval, un gros cheval, un bancale, le fruit des arbres, etc. En d’autres termes, le ciel connote ces différentes sortes de choses, comme, chez nous, le genre connote les espèces qu’il comprend en lui. Kicun, principe femelle, principe de la terre, de l’obscurité, est au Nord ; à lui ressortissent la docilité, le bétail, le ventre, la terre-mère, les habits, les chaudrons, la multitude, le noir, les grands charrois, etc. « Soleil » veut dire pénétration ; sous lui sont subsumés le vent, le bois, la longueur, la hauteur, la volaille, les cuisses, la fille aînée, les mouvements en avant et en arrière, tout gain de 3 %, etc. Nous nous bornons à ces quelques exemples. La liste des espèces d’êtres, d’événements, d’attributs, de substances, d’accidents ainsi classés sous la rubrique des huit pouvoirs est vraiment infinie. Elle épuise à la façon d’une gnose ou d’une cabale l’ensemble du monde. Sur ce thème, les classiques et leurs imitateurs se livrent à des spéculations sans fin avec une verve inépuisable.

À côté de cette classification en huit pouvoirs, on en trouve une autre qui répartit les choses sous cinq éléments, la terre, l’eau, le bois, le métal, le feu. On a remarqué, d’ailleurs, que la première n’était pas irréductible à la seconde ; si, en effet, on en élimine les montagnes, si, d’autre part, on confond les vapeurs avec l’eau et le tonnerre avec le feu, les deux divisions coïncident exactement.

Quoi qu’il en soit de la question de savoir si ces deux classifications dérivent l’une de l’autre ou sont surajoutées l’une à l’autre, les éléments jouent le même rôle que les pouvoirs. Non seulement toutes les choses leur sont rapportées, suivant les substances qui les composent ou suivant leurs formes, mais encore les événements historiques, les accidents du sol, etc. Les planètes elles-mêmes leur sont attribuées : Vénus est l’étoile du métal, Mars l’étoile du feu, etc. D’autre part, cette classification est reliée à l’ensemble du système par ce fait que chacun des éléments est localisé dans une division fondamentale. Il a suffi de mettre, comme il était juste

  1. Nous suivons le tableau dressé par M. de Groot. Naturellement ces classifications manquent de tout ce qui ressemble à la logique grecque et européenne. Les contradictions, les déviations, les chevauchements y abondent. Elles n’en sont d’ailleurs que plus intéressantes à nos yeux.