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De quelques formes primitives de classification
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contraires que possible, étaient situées l’une à gauche, l’autre à droite, l’une à l’est, l’autre à l’ouest. Mais des faits identiques ou analogues se retrouvent dans bien d’autres tribus. On signale également cette double opposition des phratries, et quant à la fonction et quant à l’emplacement, chez les Iroquois, chez les Wyandols, chez les Séminoles, tribu dégénérée de la Floride, chez les Thlinkits, chez les Indiens Loucheux ou Déné Dindjé, les plus septentrionaux, les plus abâtardis, mais aussi les plus primitifs des Indiens[1]. En Mélanésie, l’emplacement respectif des phratries et des clans n’est pas moins rigoureusement déterminé. Il suffit, d’ailleurs, de se rappeler le fait déjà cité, de ces tribus divisées en phratrie de l’eau et phratrie de la terre, campant l’une sous le vent, l’autre vers le vent. Dans beaucoup de sociétés mélanésiennes, cette division bipartite est même tout ce qui reste de l’ancienne organisation. En Australie, à maintes reprises, on a constaté les mêmes phénomènes de localisation. Alors même que les membres de chaque phratrie sont dispersés à travers une multitude de groupes locaux, à l’intérieur de chacun d’eux elles s’opposent dans le campement. Mais c’est surtout dans les rassemblements de la tribu tout entière que ces dispositions sont apparentes, ainsi que l’orientation qui en résulte. C’est le cas tout particulièrement chez les Aruntas. Nous trouvons, d’ailleurs, chez eux, la notion d’une orientation spéciale, d’une direction mythique assignée à chaque clan. Le clan de l’eau appartient à une région qui est censée être celle de l’eau. C’est dans la direction du camp mythique où sont censés avoir habité les ancêtres fabuleux, les Alcheringas, que l’on oriente le mort. La direction du camp des ancêtres mythiques de la mère entre en ligne de compte lors de certaines cérémonies religieuses (le percement du nez, l’extraction de l’incisive supérieure[2]). Chez les Kulin, et dans tout le groupe de tribus qui habitent la côte de la Nouvelle-Galles du Sud, les clans sont placés dans l’assemblée tribale suivant le point de l’horizon d’où ils viennent.

  1. Chez les Loucheux, il y a une phratrie de droite, une de gauche et une du milieu.
  2. Nous avons évidemment affaire ici soit à un commencement, soit à un reste de localisation des clans. C’est, croyons-nous, plutôt un reste. Si, comme on a essayé de le démontrer ici l’an dernier, on admet que les clans ont été répartis entre les phratries, comme les phratries sont localisées, les clans ont dû l’être.