Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/202

Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
Essais de sociologie

donc de toute nécessité que l’espèce, tout en restant concentrée éminemment sur un point unique, comme dans l’ancien système, se diversifiât cependant de manière à pouvoir se disperser, sous des formes secondaires et des aspects variés, dans toutes les directions.

3. Dans plusieurs cas on constate que les choses sont ou ont été, à un moment donné du passé, directement classées sous les clans et ne se rattachent que par l’intermédiaire de ces derniers à leurs orients respectifs.

Tout d’abord, tant que chacun des six clans initiaux était encore indivis, les choses, devenues depuis les totems des clans nouveaux qui se sont formés, devaient évidemment appartenir au clan initial en qualité de sous-totems et être subordonnées au totem de ce clan. Elles en étaient des espèces.

La même subordination immédiate se retrouve encore aujourd’hui pour une catégorie déterminée d’êtres, à savoir pour le gibier. Toutes les espèces de gibier sont réparties en six classes, et chacune de ces classes est considérée comme placée sous la dépendance d’un animal de proie déterminé. Les animaux auxquels est attribuée cette prérogative habitent chacun une région. Ce sont : au Nord, le lion des montagnes qui est jaune ; à l’Ouest, l’ours qui est sombre ; au Sud, le blaireau qui est blanc et noir[1] ; à l’Est, le loup blanc ; au Zénith, l’aigle ; au Nadir, la taupe de proie, noire comme les profondeurs de la terre. Leur âme réside dans de petites concrétions de pierres qui sont considérées comme leurs formes et que l’on revêt, le cas échéant, de leurs couleurs caractéristiques. Par exemple, de l’ours dépendent le coyote, la brebis des montagnes, etc.[2]. Veut-on, par suite, s’assurer une chasse abondante de coyotes ou entretenir la puissance spécifique de l’espèce ? C’est le fétiche de l’ours que l’on emploie suivant

  1. Le raisonnement par lequel les Zuñis justifient cette assignation du blaireau montre combien ces associations d’idées dépendent de causes tout à fait étrangères à la nature intrinsèque des choses associées. Le Sud a le rouge pour couleur et on dit que le blaireau est du Sud parce que, d’une part, il est blanc et noir, et que de l’autre, le rouge n’est ni blanc ni noir (Zuñi Fetishes, p. 17). Voilà des idées qui se lient suivant une logique singulièrement différente de la nôtre.
  2. La répartition des gibiers entre les six animaux de proie est exposée dans plusieurs mythes qui ne concordent pas dans tous les détails, mais qui reposent sur les mêmes principes. Ces discordances s’expliquent aisément en raison des modifications qui se sont produites dans l’orientation des clans.