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De quelques formes primitives de classification
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sont choisis les grands prêtres qui représentent la tribu dans la confrérie du couteau, sont au nombre de six. Enfin, la division par six a été elle-même précédée d’une division en deux clans primaires ou phratries qui épuisaient la totalité de la tribu ; le fait sera ultérieurement établi. Or la division d’une tribu en deux phratries correspond à un tableau des orients divisé en quatre parties. Une phratrie occupe le Nord, une autre le Sud, et entre elles il y a, pour les séparer, la ligne qui va de l’Est à l’Ouest. Nous observerons distinctement chez les Sioux le rapport qui unit cette organisation sociale à cette distinction des quatre points cardinaux.

2. Un fait qui montre bien que la classification des orients s’est superposée plus ou moins tardivement à la classification par clans, c’est qu’elle n’est parvenue à s’y adapter que malaisément et à l’aide d’un compromis. Si l’on s’en tient au principe sur lequel repose le premier système, chaque espèce d’êtres devrait être tout entière classée dans une région déterminée et une seule ; par exemple, tous les aigles devraient appartenir à la région supérieure. Or, en fait, le Zuñi savait qu’il y avait des aigles dans toutes les régions. On admit alors que chaque espèce avait bien un habitat de prédilection ; que là, et là seulement, elle existe sous sa forme éminente et parfaite. Mais en même temps on supposa que cette même espèce avait, dans les autres régions, des représentants, mais plus petits, moins excellents, et qui se distinguent les uns des autres en ce que chacun a la couleur caractéristique de la région à laquelle il est attribué : ainsi en dehors de l’aigle localisé au Zénith, il y a des aigles fétiches pour toutes les régions ; il y a l’aigle jaune, l’aigle bleu, l’aigle blanc, l’aigle noir. Chacun d’eux a dans sa région toutes les vertus attribuées à l’aigle en général. Il n’est pas impossible de reconstituer la marche qu’a suivie la pensée des Zuñis pour aboutir à cette conception complexe. Les choses commencèrent par être classées par clans ; chaque espèce animale fut, par suite, attribuée tout entière à un clan déterminé. Cette attribution totale ne soulevait aucune difficulté : car il n’y avait aucune contradiction à ce que toute une espèce fût conçue comme soutenant un rapport de parenté avec tel ou tel groupe humain. Mais quand la classification par orients s’établit, surtout quand elle prit le pas sur l’autre, une véritable impossibilité apparut : les faits s’opposaient trop évidemment à une localisation étroitement exclusive. Il fallait