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Essais de sociologie

dans la vie courante, cherche revanche et la trouve dans l’indécence et la grossièreté. Nous avons encore nous-mêmes des sautes d’humeur de ce genre : soldats échappant à la position sous les armes ; écoliers s’égaillant dans la cour du collège ; messieurs se relâchant au fumoir de trop longues courtoisies vis-à-vis des dames. Mais il n’y a pas lieu ici d’épiloguer longuement. Cette psychologie et cette morale n’expliquent que la possibilité des faits ; seule la considération des diverses structures sociales et des pratiques et représentations collectives peut déceler la cause réelle.

On dirait qu’à l’intérieur d’un groupe social, une sorte de dose constante de respect et d’irrespect, dont les membres du groupe sont capables, se répartit avec inégalité sur les divers membres de ce groupe. Mais alors, — en particulier dans les groupes politico-domestiques dont les segments associés constituent les tribus dont nous venons de parler — il faut voir pourquoi certaines parentés sont pour ainsi dire sacrées, certaines autres étant tellement profanes que la vulgarité et la bassesse gouvernent les attitudes réciproques. Il est clair qu’il ne faut pas chercher à ces faits une cause unique. C’est dans la nature de chaque relation domestique et dans sa fonction qu’il faut trouver la raison de tels disparates, de si divers fonctionnements. Il ne suffit pas de dire qu’il est naturel, par exemple, que le soldat se venge sur la recrue des brimades du caporal ; il faut qu’il y ait une armée et une hiérarchie militaire pour que ceci soit possible. De même, c’est pour des raisons de constitution du groupe familial lui-même que certains parents sont protégés par l’étiquette et que certains autres sont ou l’objet naturel de passe-droits et d’injures, ou tout au moins victimes de privilèges de mauvais goût. Enfin, si ces pratiques et ces sentiments divers, si ces mouvements de ces structures domestiques en expriment les hiérarchies, c’est qu’ils correspondent à la représentation collective que ces groupes domestiques s’en font, et que chaque membre applique pour sa part. C’est sur une sorte d’échelle des valeurs religieuses et morales que se classent les personnalités de la famille, du clan, des clans alliés. C’est suivant celle-ci que se distribuent suivant les temps et les personnes, les diverses attitudes successives.

On pourrait diriger la recherche et l’observation dans les chemins que voici.