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Essais de sociologie

mélanésiens ; mais il croit ceux-ci moins typiques. Ceux-ci sont cependant, à notre sens, tout aussi clairs et, de plus, mènent à l’explication.

Rivers avait aperçu toute l’importance de ces parentés, en particulier aux îles Banks. Il a longuement étudié l’institution du « poroporo » qui y est très évidente. Les parents s’y classent en gens qui se « poroporo » et gens qui ne se « poroporo » pas. Les farces, brimades, amendes infligées, licences de langages et de gestes contrastent avec la correction à l’égard des autres parents. Le mari de la sœur de père est une de ces cibles favorites, on se sert à son égard d’un langage tout spécial. Les parentés à « poroporo » sont à peu près les mêmes que celles des Winnebago : les gens de la même génération du clan où on se marie, plus les frères cadets et l’oncle maternel ou plutôt les oncles maternels (puisque nous sommes ici comme chez les Sioux en système de parentés par groupes ou classificatoire). La seule différence concerne la femme du frère qu’il faut ne « poroporo » qu’un peu (dans ce cas il s’agit de la parenté de fait et non plus de la parenté de droit). Rivers constata les mêmes institutions aux îles Torrès.

M. Fox, instruit d’ailleurs par Rivers auquel il avait signalé les faits, a décrit à San Cristobal (archipel des Salomons, Est) cet ensemble d’institutions contrastées. Des interdictions très graves y pèsent sur toutes les sœurs et sur le frère aîné — fait normal en Mélanésie — et aussi — fait anormal — sur les cousins croisés[1]. À ces tabous s’opposent les excès, les libertés

  1. La raison de ce tabou assez rare est probablement la suivante : Les gens de San Cristobal, surtout ceux du district de Bauro, ont très probablement et assez récemment changé leur système de parenté et par suite, leur nomenclature. Autrefois, on a dû se marier entre cousins croisés (fils de frère de mère contre fille de sœur de père). Puis pour des raisons diverses on est passé à l’interdiction de ce degré matrimonial. Le mariage à San Cristobal étant absolument anormal et déréglé, on a dit à M. Fox « nous épousons la mau (la fille de la fille de sœur de père) parce que nous ne pouvons plus épouser la naho » (sa mère). La cause de ce dérèglement est la gérontocratie très caractérisée dans cette petite île. Elle fait qu’on n’épouse pas la fille de la sœur de son père, personne de sa génération, mais une personne d’une génération plus bas que soi. De sorte que ce mariage étant devenu la règle, les cousins croisés sont précisément interdits tout comme des frères et sœurs. La coutume est la même dans les districts de Parigina et d’Arosi ; de même à Kahua.