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La cohésion sociale dans les sociétés polysegmentaires
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mais non absolue. Soit la légende de Barbe-bleue ; il est tué par ses beaux-frères, les frères de sa dernière femme, qu’elle réussit à appeler. Les beaux-frères ont le droit de se mêler et de la vie des enfants et de la vie de la femme : trait fondamental de la vie arabe, berbère ou chinoise, néocalédonienne ou indienne de l’Amérique du Nord. Coutume du groupe, coutume des sous-groupes, autorité coutumière des sous-groupes croisée en tous sens. Voilà ce que vous trouverez dans ces sociétés. Cette cohésion se traduit par des séries d’habitudes complémentaires se limitant les unes les autres et diverses : ainsi aux diverses appropriations techniques du sol répondent diverses propriétés du sol ; à la diversité des biens, diverses propriétés mobilières. Les propriétaires de la chasse (nobles, Afrique guinéenne) peuvent être différents des propriétaires du fonds, des terres arables ; ceux-ci peuvent n’être pas les propriétaires des arbres. Ainsi à la notion de pur communautarisme du droit foncier, nous pouvons substituer la notion de propriétés sectionnées entre des communautés ; ces sectionnements arrivent jusqu’à l’individualisme relatif de quelques droits fonciers (jardin, verger) et à plus forte raison des droits mobiliers.

Les recherches que j’ai faites sur la division des droits en masculins et féminins me permettent de vous indiquer qu’il y a là encore d’autres choses à décrire.

3. La notion de paix. Le troisième moment du fonctionnement de tous ces segments et de toutes ces sections c’est précisément une chose qui est malheureusement peu étudiée même par nous, dont il faudrait restaurer l’étude qui cependant a été classique chez les juristes, il y a de cela une soixantaine d’années, c’est la chose qu’exprime la notion de paix. Une société est cohérente, harmonieuse et vraiment bien disciplinée, sa force peut être décuplée par l’harmonie, à condition qu’il y ait la paix.

Sur cette notion de paix, vous trouverez de belles pages dans le livre de Robert Hertz sur le Péché et l’Expiation (Polynésie en particulier) quand je pourrai le publier. Je pourrais vous faire connaître de très beaux poèmes maoris, ceux que Hertz avait notés et d’autres qu’il n’avait pas connus sur la paix qui est l’harmonie. Il y a là de très belles choses sur le clan, sur les groupes locaux et la guerre, période noire. On dirait que ces gens-là ont inventé les thèmes légendaires qui font que pour l’Inde, même celle de nos jours, les périodes de la vie et de l’histoire