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La cohésion sociale dans les sociétés polysegmentaires
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nent l’ethnologie, la notion de souveraineté n’épuise pas les formes de la cohésion sociale, ni même celles de l’autorité, divisée que celle-ci se trouve entre des segments multiples et divers à multiples imbrications. Les imbrications étant une des formes de la cohésion.


Et voici comment je crois qu’on peut exposer les choses :

Nous sommes tous partis d’une idée un peu romantique de la souche originaire des sociétés : l’amorphisme complet de la horde, puis du clan ; les communismes qui en découlent. Nous avons mis peut-être plusieurs décades à nous défaire, je ne dis pas de toute l’idée, mais d’une partie notable de ces idées. Il faut voir ce qu’il y a d’organisé dans les segments sociaux, et comment l’organisation interne de ces segments, plus l’organisation générale de ces segments entre eux, constitue la vie générale de la société.

Dans des sociétés polysegmentaires à deux segments, les plus simples qu’on puisse supposer, il est difficile de comprendre comment l’autorité, la discipline, la cohésion s’établissent, puisqu’il y a deux clans et que la vie organique du clan A n’est pas celle du clan B. Et par exemple, en Australie (Victoria, Nouvelle-Galles du Sud) celle de la phratrie Corbeau n’est pas celle de la phratrie Aigle Faucon. Par conséquent, déjà dans les formes les plus élémentaires que nous puissions concevoir d’une division du travail social — dans une des plus simples divisions que nous puissions imaginer —, l’amorphisme est la caractéristique du fonctionnement intérieur du clan, non pas de la tribu. La souveraineté de la tribu, les formes inférieures de l’État règlent en plus de cette division les oppositions que nous allons voir maintenant : celles des sexes, des âges, des générations et des groupes locaux. On croit quelquefois que contester cette opposition des sexes, des âges et des générations, c’est contredire la vue grégaire et purement collective que Durkheim aurait eue du clan. En réalité ces observations étaient plus que latentes dans l’ensemble des travaux de Durkheim et de nous tous. Il s’agit seulement de les expliciter mieux.


1. Le groupe local : l’idée d’une société qui fonctionnerait comme une masse homogène, comme un phénomène de masse pur et simple est une idée qu’il faut appliquer, certes, mais seulement à de certains moments de la vie collective. Je crois