Page:Mauss - Essais de sociologie, 1971.pdf/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.
134
Essais de sociologie

qu’on pourrait dire qu’elles se situent depuis des formes très supérieures aux formes australiennes jusqu’aux formes voisines de celles des sociétés qui ont donné naissance aux nôtres. Ainsi, la famille iroquoise est bien loin de la famille primitive, même on pourrait considérer qu’elle était d’une forme plutôt plus avancée que la famille hébraïque. Toutes ces sociétés sont même de divers étages. Par exemple : les sociétés noires d’Afrique ; je les considère pour ma part, comme des équivalents, même plutôt supérieurs à ce qu’étaient les sociétés des Germains ou des Celtes. Comment donc observer, dans les sociétés à la fois encore barbares et déjà assez évoluées, les faits de cohésion sociale, d’autorité, etc. ?

Immédiatement, se pose la question, non plus simplement des institutions prises une à une ou des représentations collectives étudiées chacune à part, mais de l’agencement général de toutes ces choses-là dans un système social. Comment décrire ce fait, qui soude chaque société et encadre l’individu, en des termes qui ne soient pas trop littéraires, trop inexacts et trop peu définis ?

De plus il est clair que certains problèmes posés par nos régimes sociaux ne se posent pas en ce qui concerne les sociétés relevant de l’ethnographie et qu’elles en posent d’autres. Nous allons donc traiter du principal. Nos sociétés à nous sont relativement unifiées. Toutes les sociétés que nous voulons décrire ont un caractère précis, tout de suite indiqué dans les Règles de la méthode de Durkheim, c’est d’être des sociétés polysegmentaires. Or, l’un des problèmes généraux de la vie sociale, est celui que l’on appelle problème de l’autorité et que notre regretté ami Huvelin avait très justement transformé en problème de la Cohésion sociale. Malheureusement, le cours d’Huvelin sur cette question n’est pas au point ; il n’est pas publié. Il eût été capital surtout sur la question de l’État. Je n’en connais pas la teneur sur ce point. Il m’a donc fallu réfléchir seul à ce dernier sujet. Je me satisfais à peu près en renonçant définitivement — quoique j’aie longtemps hésité, et que j’hésite encore — à considérer l’État comme seule source de la cohésion dans ces sociétés. Donc pour le moment — quoique je n’attribue plus à l’État le caractère exclusivement juridique et que je croie que la notion de souveraineté s’est appliquée dans toute la vie sociale —, je crois que l’État n’est l’appareil juridique unique de la cohésion sociale que dans nos sociétés à nous. Au contraire, dans celles qui concer-