Page:Maurras - L’Avenir de l’Intelligence.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
183
renée vivien

d’autre part, les recherches habituelles des décadents sur « les couleurs de la nuit », ou sur le symbolisme des nuances qui lui sont chères, et qui vont du « vert au violet ». Ces rêveries renouvelées de M. des Esseintes vont nous rajeunir de vingt ans.

Encore une fois, distinguons. M. des Esseintes, dans le roman de J.-K. Huysmans, comme chez le poète des Chauves-souris et des Hortensias, n’est qu’un plaisant sinistre et froid. Renée Vivien ne badine jamais. Elle n’est jamais froide, elle ne laisse pas le lecteur indifférent, c’est un Floressas convaincu et même furieux. Elle croit. Le vain jouet des artisans de la littérature devient entre ses mains instrument de joie et de peine, d’où s’élancent des élégies sincères, ou des tragédies déchirantes. Le style a pu vieillir ; les cris et les pleurs d’une enfant lui ont restitué l’intérêt pathétique et le charme invaincu du vrai.

Une âme le remplit, l’Aphrodita puissante aux colères divines, celle qui ne souffle point de paroles vaines. Elle inspire le sentiment, compose les idées, choisit les sujets et leur forme. Des « rêves singuliers » que nous communique sans pudeur le poète, pas un qui ne semble éprouvé ! Si donc l’on se souvient inévitablement des romantiques, on vérifie que leurs pires absurdités, trouvant ici leur place, ne sont plus absurdes du tout.

Qu’un Vigny ou qu’un Baudelaire vienne nous assurer que le génie les fait solitaires et que la solitude issue de leur génie les voue mathématiquement au malheur, nous savons que c’est là sophisme de fats.