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le romantisme féminin

parole trop vague ne sont pas choses grecques, ni belles. Renée Vivien resserre en un français incisif et déterminé le corps de ses nuées immenses ; mais, ce corps indécis, le poète lesbien ne l’aurait point conçu, et la Sapho moderne l’introduit de sa seule grâce.

Par exemple, un fragment de Sapho conservé par Libanius demande, en une énergique prière, que « la nuit soit doublée pour elle ». Ces six mots deviennent le thème de quatre strophes éloquentes, où l’on peut lire :

Et le vin des fleurs, et le vin des étoiles
            M’accablent d’amour,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Je vois la clarté sous mes paupières closes
Étreignant en vain la douceur qui me fuit,
Déesse à qui plaît la ruine des roses,
            Prolonge la nuit !

La vraie Sapho aurait peut-être aimé à la folie cette petite fille dont la paupière laisse passer le jour à travers son tendre tissu ; la douceur qui la fuit, la vaine étreinte de ce bien lui paraîtraient aussi des locutions pleines de charme ; mais elle ferait des objections à la « ruine des roses », eu égard au génie de notre idiome : une rose ne fait pas figure de vieille tour ; et, quant au vin des fleurs, c’est une chose, et le vin des étoiles en est une autre, fort éloignée.

Nous sommes contraints de supposer que Sapho eut l’œil juste. Elle décrit avec trop de vérité stricte pour s’embarquer dans les images de sept lieues. Écoutez ; bien mieux, regardez. Je cite encore la ver-