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les aveugles

Premier Aveugle-né.

Il ne parle plus qu’aux femmes ? – Est-ce que nous n’existons plus ? – Il faudra bien s’en plaindre à la fin !

Le plus vieil Aveugle.

À qui vous en plaindrez-vous ?

Premier Aveugle-né.

Je ne sais pas encore ; nous verrons ; nous verrons. – Mais où donc est-il allé ? – Je le demande aux femmes.

La plus vieille Aveugle.

Il était fatigué d’avoir marché si longtemps. Je crois qu’il s’est assis un moment au milieu de nous. Il est très triste et très faible depuis quelques jours. Il a peur depuis que le médecin est mort. Il est seul. Il ne parle presque plus. Je ne sais ce qui est arrivé. Il voulait absolument sortir aujourd’hui. Il disait qu’il voulait voir l’Île, une dernière fois, sous le soleil, avant l’hiver. Il paraît que l’hiver sera très long et très froid et que les glaces viennent déjà du Nord. Il était très inquiet ; on dit que les grands orages de ces jours passés ont gonflé le fleuve et que toutes les digues sont ébranlées. Il disait aussi que la mer l’effrayait ; il paraît qu’elle s’agite sans raison, et que les falaises de l’Île ne sont plus assez hautes. Il voulait voir ; mais il ne nous a pas dit ce qu’il a vu. – Maintenant, je crois qu’il est allé chercher du pain et de l’eau pour la folle. Il a dit qu’il lui faudrait aller très loin… Il faut attendre.