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LES DIEUX DE LA GUERRE

Ils émanaient du ciel de notre intelligence, ils avaient nos passions, nos misères, nos pensées, à peine un peu plus justes, plus hautes et plus pures. Puis, à mesure que l’homme s’avance dans le temps, qu’il sort de l’illusion, que sa conscience augmente, que le monde se dévoile, les dieux qui l’accompagnent grandissent mais s’éloignent, deviennent moins distincts mais plus irrésistibles. À mesure qu’il apprend, à mesure qu’il connaît, le flot de l’inconnu envahit son domaine. À proportion que les armées s’organisent et s’étendent, que les armes se perfectionnent, que la science progresse et asservit des forces naturelles, le sort de la bataille échappe au capitaine pour obéir au groupe des lois indéchiffrables qu’on appelle la chance, le hasard, le destin. Voyez, par exemple, dans Tolstoï, l’admirable tableau, qu’on sent authentique, de la bataille de Borodino ou de la Moskova, type de l’une des grandes batailles de l’Empire. Les deux chefs, Koutouzof et Napoléon, se tiennent à