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Barre-y-va le 25 avril dernier, un soir, dans une maison froide, abandonnée depuis la mort de mon grand-père, c’est-à-dire depuis plus de dix-huit mois. On passa la nuit tant bien que mal. Mais le lendemain matin, lorsque j’ouvris ma fenêtre, j’éprouvai la plus grande joie de ma vie à revoir le jardin de mon enfance. Si abîmé qu’il fût, avec ses hautes herbes, ses allées encombrées de mauvaises plantes, ses pelouses jonchées de branches pourries, c’était le cher jardin où j’avais été si heureuse. Tout ce que j’avais eu de bon dans mon passé, je le retrouvais vivant encore, et toujours pareil à mes yeux, dans cet espace clos de murailles où personne, absolument personne, n’avait plus pénétré. Et je n’eus plus qu’une idée, ce fut de rechercher ces souvenirs et de ressusciter ce que je croyais anéanti.

« À peine vêtue, mes pieds nus dans mes sabots d’autrefois, toute frissonnante d’émotion, j’allai refaire connaissance avec mes vieux amis les arbres, avec ma grande amie la rivière, avec les vieilles pierres et les débris de statues dont mon grand-père aimait à joncher les taillis. Tout mon petit monde était là. On eût dit qu’il m’attendait et qu’il accueillait mon retour avec le même attendrissement que je ressentais à marcher à sa rencontre. Mais il y avait un endroit qui, dans ma mémoire, gardait une place sacrée. Il n’était pas de jour, à Paris, où je ne l’évoquais, car il représentait pour moi tous mes rêves d’enfant solitaire et de jeune fille romanesque. Partout ailleurs je jouais et je m’amusais, en proie à mes instincts turbulents. Ici, je ne faisais rien. Je songeais. Je pleurais sans raison. Je regardais, sans les voir, s’agiter les fourmis et voler les mouches. Je respirais pour le plaisir de respirer. Si le bonheur peut être négatif et s’exprimer par de la béatitude engourdie et l’absence totale de pensée, j’ai été