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histoire du vieux temps

le comte

Mon Dieu ! non. Mais pourquoi ? je ne sais trop moi-même.
Je me suis dit : Est-il possible qu’elle m’aime
Cette enfant que je vis un instant ? Pour ma part
L’aimais-je ? J’hésitais. J’arriverais trop tard,
Peut-être pour trouver ma belle jeune fille
Aimant quelque autre, aimée et mère de famille ?
Et puis ce vain propos d’un fou, dit en passant,
Sans doute avait glissé sur elle, lui laissant
Un mignon souvenir, une douce pensée.
Et puis, la trouverais-je où je l’avais laissée ?
M’étais-je pas trompé ? Ne valait-il pas mieux
Garder ce souvenir lointain, frais et joyeux,
La voir toujours telle que je me l’étais peinte,
Et ne point revenir et la revoir, de crainte
De ne trouver, hélas ! Que désillusion ?
Mais il m’en est resté comme une obsession,
Une vague tristesse au cœur, et comme un doute
D’un bonheur coudoyé, mais laissé sur ma route.

la marquise, avec des sanglots dans la voix.

Elle l’aurait peut-être aimé, cet inconnu ?
Dieu seul le sait ! mais vous n’êtes point revenu.

le comte

Marquise, aurais-je donc commis un si grand crime ?

la marquise

Ne me disiez-vous point, tout à l’heure : « J’estime
Que l’homme est comme un fruit que Dieu sépare en deux.
Il marche par le monde ; et, pour qu’il soit heureux,