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depuis que je suis rassurée. Donne-moi ta main. En ce moment je me rappelle toute notre vie, je suis contente, je suis presque gaie, j’ai envie de rire, tiens... J’ai envie de rire, je ne sais pas pourquoi. (Elle rit.)


JEAN.

Calme-toi, ma petite Musotte !


MUSOTTE.

Si tu savais comme il me vient des souvenirs ! Te rappelles-tu quand j’ai posé pour ta Mendiante, pour ta Marchande de Violettes et pour ta Femme coupable, qui t’a valu une première médaille ?... Et le déjeuner chez Ledoyen le jour du vernissage ? Plus de vingt-cinq à une table de dix ! En a-t-on dit des folies, surtout le petit... le petit... comment s’appelle-t-il donc ? Ce petit si rigolo qui fait toujours des portraits qui ne ressemblent jamais... Ah ! oui, Tavernier... Et quand tu m’as installée chez toi, dans ton cabinet de débarras, où il y avait deux grands mannequins dont j’avais peur la nuit... Et je t’appelais, et tu venais me rassurer... Ah ! que c’était drôle... tu te rappelles ? (Elle rit encore.) Si cette vie-là pouvait recommencer ! (Elle pousse un cri.) Ah ! j’ai mal... j’ai mal... (A Jean qui veut aller chercher le docteur.) Non ! reste ! reste ! (Un silence. Changeant brusquement de visage et de ton.) Vois ! il fait un temps superbe. Si tu veux, nous irons avec l’enfant faire un tour sur un bateau-mouche... Ça m’amuse tant, les bateaux-mouches ! C’est si gentil... Ça court sur l’eau, vite, vite, et sans bruit ! Maintenant que je suis ta femme, je peux me lever, je suis guérie. Chéri ! je n’aurais