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toute une sève de dix-huit ans ; et, j’ai, nettes comme des réalités nouvelles, des visions de choses oubliées.

Oh ! comme je suis surtout traversée par des souvenirs brusques de mes promenades de jeune fille. Là, sur mon fauteuil, devant mon feu, j’ai retrouvé étrangement, l’autre soir, un coucher de soleil que j’ai vu, étant bien jeune, sur une plage de Bretagne. Je l’avais oublié, certes, depuis longtemps, et il m’est revenu tout à coup, sans raison, ou peut-être parce qu’une lueur de tisons rouges aura réveillé dans ma mémoire la vision de cette lueur géante qui embrasait l’horizon ce soir-là ! Je me suis tout rappelé : le paysage, ma robe, et même des détails de rien du tout, un petit bobo que j’avais au doigt depuis quelques jours, et cela si vivement, que j’ai cru en souffrir encore. J’ai senti l’odeur salée, humide et fraîche des sables mouillés, et j’ai frémi de la même exaltation, jeune et poétique ; et toutes mes sensations d’alors m’ont as-